mardi 1 mai 2018

Guérir, changer

Elle remonte à loin maintenant, cette histoire.

Plus de trois ans que j'ai quitté Algernon, plus de deux ans que je n'ai plus aucun contact avec lui, ni par téléphone, ni par mail, aucun.

C'est une histoire qui finit bien, puisque j'en suis sortie, je m'en suis bien sortie, et totalement sortie.

Si vous venez ici pour la première fois, lisez plutôt à partir des articles les plus anciens, c'est-à-dire du début. Si vous n'êtes pas là par hasard, peut-être vous vous y retrouverez. Et puis dans tous les cas lisez ceci, pour l'espoir.

Trois ans après, je suis toujours en train de guérir. C'est vrai, c'est long. Mais huit ans de blessures ne se guérissent pas en un jour, par le coup de baguette magique d'une décision courageuse. Ce serait chouette, mais non.

Trois ans après pourtant, je peux mesurer mes progrès.

Les articles écrits en 2015, dans les mois qui ont suivi mon départ, il y a pas mal de choses que je ne ressens plus comme ça aujourd'hui, en ce qui concerne les émotions. Le souvenir de la douleur n'est plus aussi présent non plus. Plus aussi actuel. Mais je les laisse tel quels, en tant que témoignages. Pour moi aussi, ils me permettent de mesurer le chemin parcouru. Sur le plan théorique en revanche je suis toujours en accord avec ce que j'ai écrit.

Les crises d'angoisse sont toujours là, mais je suis passée de crises d'angoisses invalidantes, qui pouvaient durer des semaines et m'empêchaient de sortir de chez moi ou de voir des gens, à des crises plus ponctuelles et plus modérées. C'est toujours désagréable, mais je peux vivre avec.

Je ne vis plus dans la terreur permanente, même si la terreur n'est pas toujours absente de ma vie.

Je suis passée d'un mode de survie, où le but était chaque jour d'arriver au jour suivant, à un mode de vie, où je suis capable de prendre soin de moi réellement, de m'accorder autant de soin que j'en accorderais à une personne que j'aime.

J'ai appris peu à peu à poser mes limites, à dire non, à reconnaître que j'avais le droit de dire non, à ne plus confondre aimer avec tout accepter.

Aujourd'hui je sais que je ne risque plus de tomber sous l'emprise d'une personne violente - ni Algernon, ni aucun.e autre.

Algernon a continué à me manquer régulièrement pendant des mois, comme je le raconte ici et ici. Ça a été une délivrance quand j'ai remarqué que ce n'était plus jamais le cas. Aujourd'hui je sais que si je le recroisais je ne risquerais plus de retomber sous son emprise - et je n'ai aucune envie de le recroiser. Il ne représente plus un danger pour moi. Pas davantage un regret. Maintenant, je m'en fous.

Ces articles-là particulièrement, je les laisse comme témoignages de l'emprise, parce que c'est important à dire : je n'ai pas cessé d'être sous l'emprise de mon ex au moment où je l'ai quitté, mais à peu près un an et demi plus tard. En revanche, le quitter m'a immédiatement permis d'être en sécurité et d'entamer le processus de guérison qui a mené, entre autres, à la fin de son emprise.

C'est à peu près à la même époque qu'Algernon a cessé de me manquer et que j'ai cessé d'être attirée par des personnes qui lui ressemblaient - des personnes violentes et possessives. Je pense que la thérapie et le groupe de parole y sont pour beaucoup, voir ci-dessous.

Je vis mieux. Infiniment mieux. Pas seulement parce que je suis sortie de la violence conjugale, mais aussi parce que j'ai travaillé à changer, à devenir une personne mieux protégée contre celle-ci.

Quand on sort d'une relation avec un agresseur, le risque, c'est d'en retrouver un autre. J'ai couru ce risque. Toutes les personnes victimes de violences conjugales que je connais l'ont couru aussi. Parce qu'on ne devient pas victime de violences conjugales par hasard. Non, il ne s'agit pas de dire que les victimes de violences le veulent, ou aiment ça, ou sont finalement tout aussi coupables puisqu'elles acceptent. Ça, c'est le victim-blaming des agresseurs, et c'est de la merde. La personne responsable des violences conjugales, c'est la personne qui exerce ces violences : ça, il n'y a aucun doute là-dessus. Mais la personne qui subit ces violences, en général, c'est une personne qui n'a pas appris à poser ses limites. C'est une personne à qui l'on a appris, généralement dans l'enfance, que pour être aimée, elle devait tout accepter, que c'était la condition nécessaire pour qu'on l'aime, ne serait-ce qu'un tout petit peu, parce qu'en général, les personnes qui vous apprennent ça, les parents toxiques, vous apprennent en même temps que vous n'êtes pas vraiment digne d'être aimée. C'est une personne à qui l'on a appris que son amour se mesurait à ce qu'elle était capable d'endurer pour celui-ci - à qui l'on a appris, finalement, à équivaloir amour et souffrance.

Ce n'est pas un hasard si les victimes de violences conjugales sont surtout des femmes : ce type d'injonction à tout accepter, cette conviction d'être impossible à aimer, cette interdiction de poser ses limites personnelles et de stand up for yourself font partie intégrante de l'éducation des femmes dans le patriarcat occidental. Il arrive que des hommes ayant eu des parents toxiques aient les mêmes vulnérabilités, mais c'est une exception, alors que chez les femmes c'est systémique. D'où les statistiques. On n'apprend pas impunément aux femmes qu'elles n'ont le droit de rien demander pour elles, quel que soit le prix, et aux hommes que tout leur est dû, quels que soient les moyens.

Ces convictions, ce sont des failles, des vulnérabilités. C'est par là que les agresseurs rentrent dans votre vie, c'est par là qu'ils s'installent. Toute la culture populaire de l'amour toxique (je pense notamment à la pop music) est là pour vous dire que ces vulnérabilités sont ce qui fait votre beauté. C'est faux, et c'est de la merde. Ce sont des vulnérabilités de même que les failles de sécurité en informatique : elles permettent à quelqu'un d'autre de prendre le contrôle de vos systèmes, et vous, vous risquez de tout perdre.

La bonne nouvelle, et c'est là que je voulais en venir, c'est que ce n'est pas une fatalité. On peut, et ceci à n'importe quel âge, apprendre à poser ses limites, apprendre à considérer que l'on a de la valeur, apprendre à se défendre, dans tous les sens du terme - et pour se défendre, il faut évidemment avoir quelque chose à défendre, il faut un minimum s'aimer.

Si vous sortez d'une situation de violence conjugale ou si vous y êtes encore : le responsable, la source du problème, c'est la personne qui exerce ces violences sur vous, il n'y a aucun doute à avoir là-dessus. Mais ça veut dire aussi que vous avez certainement une vulnérabilité à ces violences, et qu'il va falloir vous en occuper, sous peine de retomber sous l'emprise de votre ex ou d'une autre personne violente.

C'est ce que veut dire guérir, lorsqu'on a vécu de la violence conjugale. C'est le même processus par lequel on se reconstruit, on cicatrise, par lequel on rend sa culpabilité à l'agresseur, et par lequel on apprend à poser ses limites.

Donc pour finir je vais parler de quelques trucs qui m'ont aidée dans ce processus de guérison. C'est mon chemin, donc un chemin, pas le chemin. Libre à vous de faire votre tri et de trouver le vôtre, et bonne route.

- Parler. C'est le début de tout. Les violences conjugales vont avec une injonction au silence, une demande de loyauté, voire une inversion de la culpabilité qui empêchent de parler de ce qu'on vit. En parler est horriblement difficile, mais ça m'a sauvée. Personnellement j'ai trouvé très difficile d'en parler avec mes amis les plus proches. En revanche, ça m'a beaucoup aidée de me rapprocher d'une association (le Planning familial, dans mon cas) où j'ai trouvé une écoute sans jugement sur les questions de violences. Ça m'a permis de mettre des mots sur ce que je vivais, de réaliser que c'était bien de la violence, et de me tenir bon à ma résolution de quitter Algernon. Aujourd'hui encore il m'est plus facile de parler de tout ça avec des personnes neutres qu'avec des personnes avec qui j'ai des liens affectifs, parce que j'ai du mal avec la douleur que ça leur cause. Je pense néanmoins que c'est une bonne chose de parler de ce que j'ai vécu à mon entourage, parce qu'on ne parle pas assez de ces sujets, parce que me taire renforce les clichés sur ce à quoi ressemble la violence conjugale et qui elle concerne, et parce que ce n'est pas à moi d'avoir honte de ce que j'ai vécu.

- Établir un.e intermédiaire. Après mon départ, Algernon a continué à essayer de me détruire à distance, notamment par mail. Je dois la vie (littéralement) à l'amie qui a accepté que je redirige vers son adresse les mails d'Algernon, pour qu'elle les lise pour moi et fasse le tri entre les informations pratiques et le venin. Mon état s'est instantanément amélioré dès que je me suis sue protégée de ces agressions à distance. (Maintenant que toutes les questions pratiques sont réglées, les messages d'Algernon vont directement vers une adresse-poubelle dont j'ai oublié le mot de passe.) J'ai depuis joué ce rôle d'intermédiaire pour d'autres personnes. Le principe est simple : les mots d'une personne ne sont toxiques que si vous avez des liens affectifs avec cette personne. Les tentatives de manipulation d'une personne que je ne connais pas sont sans effet sur moi. Comme intermédiaire, j'ai choisi une personne en qui j'avais totalement confiance. Il en fallait de la confiance, car ça voulait dire qu'elle lirait les calomnies d'Algernon sur moi. Si je n'avais pas eu de tel.le ami.e dans mon entourage, j'aurais pu demander à ma psy, qui m'avait suggéré cette méthode, ou à un.e bénévole de l'association de lutte contre les violences conjugales.

- Groupe de parole. Plus tard, après avoir déménagé, après l'avoir quitté, dans une autre ville, je me suis rapprochée d'une association spécialisée dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Cette association proposait des thérapies individuelles mais aussi des groupes de paroles de femmes victimes de violences. Ce groupe de parole a été déterminant pour moi. Parler avec d'autres femmes victimes de violences m'a permis de donner une réalité à ce que j'avais vécu, de sortir de l'intérieur de ma tête où quelque part Algernon était toujours là, en train de me dire que j'étais folle et que j'inventais tout ça, voire que c'était moi qui lui faisais du mal. Or justement, dans le groupe de parole, ce sentiment-là, on l'avait toutes, à un moment ou à un autre. Parler entre nous, ça nous a permis de nous confirmer mutuellement qu'on était pas folles, que ce qu'on vivait était bien réel ; parce que c'est plus facile quelque part de reconnaître la réalité des violences vécues par quelqu'un d'autre que celles que l'on vit soi-même, et parce que j'avais tendance aussi, au moins au début, à être plus bienveillante envers les autres qu'envers soi-même. En faisant l'un, j'ai appris à faire l'autre. Donc la solidarité et les échanges avec d'autres personnes qui vivaient la même chose, pour moi, ça a été déterminant. Merci pour tout, les girls.

- Thérapie. Aux moments où je sombrais, faire un travail de psychothérapie m'a sauvé la vie. Plusieurs fois. Ça m'a demandé, avant tout, de reconnaître que là, j'étais submergée, je ne pouvais pas m'en sortir seule, j'avais besoin d'aide. Au-delà de ces urgences ponctuelles, ça m'a aussi permis, à plus long terme, de changer les schémas de fonctionnement qui me rendaient vulnérable aux violences. Pour moi, ce qui a été très efficace pour changer les schémas dans lesquels j'étais enfermée depuis l'adolescence, ça a été l'analyse transactionnelle. C'est une thérapie interactive, plutôt courte (pas 15 ans donc - moi j'ai eu de bons résultats en un an de thérapie hebdomadaire) qui se focalise sur les scénarios qui se répètent dans nos vies, et comment en changer. On y travaille beaucoup à partir de ses interactions avec les autres, donc je trouve que c'est assez pertinent pour traiter des questions de violences, et ça en fait aussi un bon exutoire.
J'ai aussi trouvé l'EMDR très efficace pour traiter les traumatismes.
Là encore, les associations de lutte contre les violences conjugales proposent souvent des thérapies gratuites aux victimes, pour les aider à se reconstruire et à sortir des schémas de violence.

- Lire Échapper aux manipulateurs et Divorcer d'un manipulateur de Christel Petitcollin. Ces deux livres-là, très pratiques, m'ont indéniablement aidée, et en de nombreuses circonstances, même si je suis pas toujours d'accord avec tout ce qu'écrit cette autrice (la conclusion d'Échapper aux manipulateurs notamment, que je trouve contre-productive). L'analyse non-jugeante des facteurs qui rendent vulnérables à la manipulation et les stratégies proposées pour faire obstacle à celle-ci, notamment, m'ont été très utiles.

- Entretenir les liens. La violence conjugale est quelque chose qui isole. Quand j'ai quitté Algernon, j'ai déménagé pour une ville où je connaissais peu de gens et je suis quelqu'un de timide et introverti. Autant dire qu'entretenir les liens, pour moi, c'est difficile et même parfois impossible, en cas d'angoisses notamment. Pourtant garder des liens avec mes ancien.ne.s ami.e.s, même à distance, et en créer de nouveaux sur place, même peu nombreux, cela m'a donné beaucoup de force et de résilience.

- Animal de compagnie. Purée, qu'est-ce que je serais devenue sans le chat, sérieusement.

- Patience. La guérison prend du temps. La guérison est cyclique. J'ai ragé de me voir retomber dans de vieux schémas et de vieilles angoisses alors que je m'en croyait sortie. Surtout que j'ai déjà tendance à être dure envers moi-même. Quand ça m'arrive, j'observe mes progrès sur le long terme, et comment mon "jour sans" est différent de ceux d'il y a six mois ou un an. Quand je traverse des périodes d'angoisse, observer qu'elles sont différentes, moins longues et moins intenses qu'il y a un an, deux ans, trois ans me fait beaucoup de bien. Constater les ressources personnelles et interpersonnelles que j'ai développé aussi. Mes moments d'angoisse, ce ne sont pas des retours à la case départ : je suis sur une longue spirale sur laquelle je progresse sans cesse, toujours un niveau plus haut.

- Me pardonner. Je suis facilement en colère contre moi-même d'être restée huit ans dans cette situation qui m'a abîmée, physiquement et moralement. Cette culpabilité ne me quitte guère, surtout quand je subis les séquelles de la violence, notamment physiques, qui durent encore aujourd'hui. Contre cette colère-là, qui ne sert à rien, j'essaye de me souvenir que le responsable des violences, c'est l'agresseur ; et que cette personne travaillait quotidiennement à m'embrouiller la tête et à retourner la responsabilité. Que mes motifs pour rester avec Algernon, c'est-à-dire donner sa chance à la relation, voir le bon en lui, n'ont rien de honteux. Et que j'ai finalement fait ce qu'il fallait en partant.

- Quitter des gens. La vie est trop courte pour m'emmerder avec des gens (ami.e.s, collègues, famille, amoureuxses ou même de parfaits inconnus qui se sentent autorisés à donner leur avis) qui trouvent que c'est de ma faute, que j'ai dû faire quelque chose pour le mériter, que je "n'avais qu'à partir" ou que je pète l'ambiance avec mes histoires de violence conjugale. C'est un discours horriblement répandu, il fait partie de notre culture violente. Il a pour but de faire taire les victimes et d'excuser les agresseurs. Le but, c'est de ne plus penser ça moi-même, donc maintenant je vire de mon entourage toute personne qui me sort ce genre de merde si elle n'est pas suivie d'excuses sincères (et par excuses sincères je veux dire reconnaissance que c'est de la merde et engagement de ne pas recommencer ; s'il y a récidive, je suis impitoyable). Entendons-nous bien : personne ne me doit son temps et son écoute, surtout sur ces sujets qui sont lourds, difficiles à entendre et peuvent aussi réactiver des traumatismes chez celles et ceux qui m'écoutent. Mais s'il est tout à fait normal et légitime de dire que l'on est pas en état d'entendre parler de ces sujets-là ici et maintenant, il n'est jamais acceptable de juger la personne victime de violences qui vous fait la confiance de vous en parler.

- Bienveillance. Je mérite d'être bien traitée, et avant tout par moi-même. Quand ça ne va pas, j'écoute mes besoins. Je ne me houspille pas. J'essaye de me donner l'autorisation de ressentir ce que je ressens et le réconfort et l'espace nécessaires à le digérer. Être bienveillante envers les autres m'aide aussi à l'être davantage envers moi-même : le non-jugement, ça marche dans les deux sens.

- Faire des trucs. Que ce soit écrire, faire du sport, de la menuiserie, de l'art, de la danse, seule ou en groupe : faire des trucs me fait du bien.

- Faire rien. Parfois, il n'y a pas d'autre solution. Personnellement quand je ne suis capable de rien faire d'autre je trouve un réconfort toujours renouvelé dans la lecture du webcomic Questionable content ou de l'excellente BD Cadavre exquis, de Pénélope Bagieu.

- Changer l'amour. Les violences conjugales s'appuient entre autre, culturellement, sur une conception toxique de l'amour, diffusée notamment par les chansons. Une culture où tuer celle qu'on aime, la harceler, la séquestrer, la surveiller, la torturer est une preuve d'amour. C'est faux, et c'est de la merde. L'amour, c'est fait pour être agréable. C'est fait pour être partagé. C'est fait pour être voulu par toutes les personnes impliquées. Donc j'essaye de bannir de ma vie les conceptions de l'amour qui font le lit de la violence. Je sais, c'est pas facile de changer ce qui nous fait vibrer. Mais avec le temps, on peut refaire de l'amour quelque chose d'aimable.

mercredi 8 juin 2016

Street spirit

C'est un traumatisme immense d'avoir eu quelqu'un de cher - parent, frère, soeur, ami-e - qui prenait soin de vous, était toujours là pour vous, et de l'avoir perdu brutalement dans quelque horrible et absurde accident.

Il faut beaucoup - de larmes, de force, de temps - pour surmonter cela.

Mais comment guérir de cet autre traumatisme, de n'avoir jamais eu personne qui prenne soin de moi ?

samedi 30 avril 2016

À mes amis

TW : dépression, suicide.

Voici ce que j'aurais envie d'écrire à mes amis, si j'osais écrire une telle lettre.
Mais je l'écris ici, où personne ne vient, personne ne lit, et surtout pas mes amis.
Car j'aurais peur, si je leur écrivais cela, de perdre d'un seul coup - tous mes amis.

Mes amis, j'ai peur de ne pas y arriver.
Ne pas y arriver, ça veut dire que peut-être on me retrouvera un jour sur le trottoir en bas de chez moi, la tête fracassée par la chute.
Ou plus probablement, que je confierai le chat à M. en lui disant que je pars en weekend - je sais qu'elle l'aime bien. Je lui posterai ensuite une lettre lui demandant de bien vouloir en prendre soin en expliquant la raison, ou sinon contacter ma mère si elle ne peut pas. Bref mettre le chat en lieu sûr, et ensuite envoyer une lettre dont le temps de transport m'assure à la fois d'avoir le temps de mettre mon projet à exécution et que quelqu'un soit prévenu pas trop longtemps après - parce que je ne voudrais pas que mon corps soit retrouvé des semaines ou des mois plus tard, ça n'est pas un cadeau à faire à personne.
Ensuite je rentrerais chez moi et je prendrais ce truc dont on m'a dit qu'il assurait une crise cardiaque rapide. Rapide à quel point, je ne sais pas exactement. Assez, j'espère.
Ce truc, je ne l'ai pas chez moi. Je sais où en trouver, mais je n'en ai pas acheté pour l'instant. Je pensais en acheter pour en avoir "au cas où", parce que je crois qu'il est toujours bon d'avoir une porte de sortie en cas de maladie, de guerre, de famine. Mais en fait heureusement que je n'ai pas encore prévu cette porte de sortie, qu'elle n'est pas disponible chez moi actuellement.

Mes amis, je ne vais pas bien.
Je n'arrive pas à sortir de chez moi, je n'arrive pas à voir des gens, je n'arrive pas à travailler.
J'ai peur de tout.
Je vis dans une angoisse oppressante, une ambiance de film d'horreur, jour et nuit.
Je suis partie, la situation a pris fin, mais la terreur est restée. Je me sens coincée dedans.
L'intensité varie selon les jours. Il y en a de bons. Au début de l'année, j'ai même vécu un mois entier où je me sentais vraiment bien. Mais ça a pris fin. Dommage, j'ai beaucoup aimé. Mes amis, voyez-vous, certains rêvent de choses extraordinaires, de superpouvoirs, de capacités physiques ou intellectuelles augmentées, d'un bonheur de magazine. Moi je rêve d'une vie normale - avec une quantité d'énergie normale, sans ce voile noir oppressant de l'angoisse, sans cette terreur quotidienne et continue. C'était vraiment délicieux, je vous assure, tant que ça a duré.

Mais globalement je vais très mal.
C'est difficile pour moi de contacter les gens. Ça fait partie de la terreur.
Je crève de solitude.
Mes amis, y'en a pas un d'entre vous qui me fait signe. Vous ne prenez jamais de mes nouvelles. Vous êtes pourtant tous au courant de ma situation. Vous vous dites peut-être qu'il vaut mieux me laisser tranquille. Je l'ai déjà entendu. C'est des conneries. Peut-être aussi qu'interagir avec quelqu'un qui va mal vous met mal à l'aise. Ça je peux comprendre.
Vous imaginez ce que c'est de ne pas pouvoir sortir de chez soi pendant des jours, des semaines, et ne pas recevoir autre chose sur son téléphone que les messages promotionnels de son opérateur, ne pas recevoir autre chose dans sa boîte mail que des newsletter publicitaires ou des annonces automatiques du travail ?
Je n'entends jamais parler de vous.
Je perds tout espoir que quelqu'un que j'aime pense à moi. Je fonds sur place. Je n'ai plus aucune valeur.

Je ne sais pas comment ça s'est fait, ça s'est construit comme ça, c'est toujours moi qui prends l'initiative, qui envoie des messages, qui demande des nouvelles, qui propose de se voir. Sans doute parce que je considère que les autres gens sont plus intéressants, ou plus importants que moi.
Mais la dynamique de nos échanges confirme ce sentiment.
C'est toujours moi qui initie les échanges, et vous me répondez rarement.

On pourrait dire : fais-toi d'autres amis.
Ce n'est pas facile pour moi de me faire des amis. Surtout en ce moment.
Et vous, que j'appelle mes amis, ce n'est pas par défaut, ce n'est pas parce que je n'ai personne d'autre. C'est parce que je tiens à vous. Vous êtes spéciaux. Vous êtes précieux. Vous n'êtes pas très nombreux, non plus. Vous êtes rares.
Mais vous vous faites trop rares.
Et je pense que si vous ne prenez jamais l'initiative de me contacter, c'est pas en pensant à mal. C'est parce que vous n'y pensez pas. Parce que vous êtes très occupés. Parce que vous avez vos propres problèmes. Parce que le temps passe vite. Je sais tout ça. Je sais.
Peut-être aussi que vous n'avez pas besoin de moi autant que j'ai besoin de vous. Et ça, ça peut être effrayant.

Mais j'ai quelque chose à vous demander, et c'est : faites-moi signe de temps en temps, s'il vous plaît. Un petit message. Ça n'a pas besoin d'être long. Ça n'a pas besoin d'être souvent non plus, pourvu que ça arrive de temps en temps. Mais pour moi, c'est vital.
Demandez-moi comment ça va, et ne vous fâchez pas contre moi, ne vous découragez pas, si je vous réponds "pas brillant, pas mieux".
Proposez-moi que l'on se voie, parfois, si c'est possible pour vous.
Je peux comprendre que vous soyez mal à l'aise à l'idée de voir une personne qui va mal. Peur que je vous tire vers le bas, que je plombe l'ambiance.
Rassurez-vous. Si vous m'invitez et que je ne suis pas en état de voir des gens ou de sortir de chez moi, je ne viendrai pas. Si j'accepte l'invitation, c'est que j'en suis capable.
Si je refuse une fois, ou plusieurs, s'il vous plaît n'arrêtez pas de me proposer.
Voilà, c'est tout. C'est simple, presque décevant. Faites-moi signe de temps en temps, proposez-moi qu'on se voie si vous pouvez, et continuez.
Vous n'imaginez pas à quel point, pour moi, ça ferait une différence. Je pense que peut-être, si vous ne le faites pas, c'est parce que vous ne pensez pas que de si petits gestes puissent compter. Mais je vous assure que pour moi, là, ça pourrait bien faire toute la différence.

En vous demandant ça, j'ai peur de ne plus jamais entendre parler de vous. J'ai peur que vous vous fâchiez contre moi. Ça fait partie de la terreur.
Si je fais cette demande, c'est que je n'ai pas le choix. C'est vital.
C'est parce que je pense à vous aussi, et je me demande quels seront vos sentiments si, la prochaine fois que vous pensez à moi, vous vous rendez compte que je ne suis plus là.
La boîte est vide.
Ce ne serait pas de votre faute. Pas de confusion là-dessus.
Mais par contre, vous pouvez m'aider à rester en vie.

J'ai besoin d'aide.
Je demande de l'aide.

Voilà. Prochaine étape : demander de l'aide là où elle pourra être entendue.

samedi 21 novembre 2015

Un mental de femme battue

Bien sûr, Algernon n'était pas violent en permanence.

Il l'était seulement souvent, et de manière imprévisible.

C'est pas facile de vivre constamment sur ses gardes. C'est pas facile de vivre dans l'appréhension constante de la prochaine explosion. L'expression est : marcher sur des œufs. En vrai, ça correspondrait plutôt à la sensation de vivre dans un champ de mines. C'est un peu tendu.

C'est pas facile, lorsque tu es en train de petit-déjeuner dans la cuisine, de craindre que ton compagnon se lève et descende avant que tu aies terminé, parce que tu sais qu'au minimum ta présence dans la cuisine quand il descendra faire son café semblera le mécontenter, et au pire tu ne sortiras pas de cette foutue cuisine du reste de la matinée, piégée dans une de ses séances de torture mentale.

Vous me direz : t'as qu'à faire en sorte d'avoir terminé de petit-déjeuner quand il se lève.

Mais oui bien sûr, ya qu'à faire ça, c'est évident.

Sauf que là, vous venez de mettre le pied dans un truc. Vous venez de faire le premier pas dans ce qu'un collègue un peu maladroit a un jour appelé : un mental de femme battue.

Un mental de femme battue, c'est penser qu'en vous dépêchant de finir votre petit-déjeuner vous éviterez la violence. Qu'il suffirait de modifier votre comportement pour que la violence cesse. Que la violence dépend donc de votre comportement. Que c'est à vous de changer, de trouver ce qui, dans vos actes, déclenche la violence, afin d'éviter de le faire à l'avenir.

Un mental de femme battue, c'est considérer que tu es responsable de la violence qui t'est faite, et que tu peux y trouver remède en changeant ta façon de faire.

Alors tu commences à essayer de changer. Terminer plus vite ton petit-déjeuner, d'accord, mais aussi un millier d'autres choses. Tu essayes d'être parfaite pour éviter à ton compagnon tout motif de contrariété. Tu vis dans une tension permanente, dans la crainte constante de foirer et de tout faire foirer. Et puis tu rates, évidemment, parce que personne n'est parfait. Et tu t'en veux.

Et puis c'est difficile, parce que comment dire : un jour il va te prendre la tête parce qu'il te trouve dans la cuisine quand il se lève, et que ça l'agace, mais un autre jour il va te prendre la tête parce que tu n'es plus dans la cuisine quand il se lève, et qu'il a l'impression que tu le fuis. Ses exigences sont détaillées et contradictoires. Rien n'a de sens, tout s'inverse en permanence en son contraire. Tu as beau essayer, tu n'arrives pas à trouver la logique du déclencheur, à comprendre les règles de ce qui provoque sa violence.

Mais c'est parce que ce n'est pas ton comportement qui est cause de la violence. Ton comportement n'est qu'un prétexte, et s'il change, le prétexte changera lui aussi.

Le besoin de violence trouve toujours un prétexte.

La violence de ton compagnon, c'est comme un fleuve qui cherche à passer. Aucun barrage ne tiendra indéfiniment. A un moment le fleuve le brisera, ou trouvera une autre voie.

Lorsque de la violence cherche à s'exprimer, elle trouve toujours le moyen de le faire.

Ça tombe sur toi juste parce que tu es là.

Tu pourras changer tout ce que tu veux, ton comportement, ta personnalité, ton identité, la violence te tombera dessus quand même, parce que ton compagnon porte en lui cette violence qui a besoin de se déchaîner.

Alors la seule chose que tu puisses faire, la seule, vraiment, qui soit en ton pouvoir pour arrêter la violence, c'est partir.

mardi 20 octobre 2015

Les caresses blessantes

Je n'ai jamais connu personne dont les gestes d'affection fassent aussi systématiquement mal.

Je me souviens de cette époque où j'avais une fissure au lobe de l'oreille, parce qu'en me caressant le visage à chaque fois tu le faisais rouler en me l'arrachant un peu, rouvrant la blessure qui ne cicatrisait pas. Tes caresses sur mon visage étaient un peu fermes, bien sûr.

De ta main posée sur mon bras, mais avec une pression des doigts si dure que tu me broyais les os et les nerfs.

Des tout débuts de notre relation, où j'appréhendais tes étreintes parce que tu me serrais très fort, non au niveau des épaules, mais au niveau de la nuque, que je sentais mes vertèbres craquer dans l'étranglement, et que souvent j'en ressentais ensuite des douleurs pendant plusieurs jours.

Combien de fois, au lit, tu as bougé ta jambe sur la mienne à la manière d'un archet en appuyant très fort, faisant rouler les muscles sous ma peau d'une manière qui m'était très douloureuse, j'avais beau te le dire, tu recommençais toujours et c'est moi qui étais pénible.

Et puis il y a eu cette longue période où après l'amour, encore en moi, tu faisais un certain mouvement qui t'était sans doute agréable, mais me faisait hurler de douleur. J'avais exprimé cela clairement. Tu savais exactement de quel mouvement il s'agissait. Mais il a bien fallu un an pour que tu arrêtes de le faire - peut-être pas chaque fois, mais suffisamment souvent pour que chaque fois je l'appréhende sans pouvoir l'empêcher.

C'est pas possible d'être en permanence en train de craindre les gestes d'affection physique de la personne que l'on aime. C'est un cauchemar.

Bien sûr, cela arrive de faire mal à quelqu'un en voulant le ou la caresser, cela arrive d'être maladroit. Mais toutes tes caresses étaient minées. Et au lieu de faire ce qui se fait d'ordinaire dans ce genre de situation - on s'excuse, et on arrête le geste - toi au contraire tu me mettais la pression pour continuer, tu te plaignais que j'étais trop douillette, qu'on ne pouvait pas me toucher, que j'étais pénible, que je ne t'aimais pas. ça te donnait un argument pour limiter les gestes affectueux, évidemment, puisque j'étais si intouchable. Et puis c'était une manière efficace de me faire culpabiliser.

Isolée dans la privation de contact physique, et pourtant craignant que tu me touches. Désirant les caresses, craignant les coups.

Ainsi la plupart de tes caresses étaient des pièges. De même, dans beaucoup de tes propos, une pointe était cachée, et de la même manière que pour les caresses, il ne fallait surtout pas que je la relève, il ne fallait pas que je m'en plaigne, sinon c'était l'amorce qui allait te permettre, des heures durant, de m'adresser reproches et culpabilisation.

mercredi 30 septembre 2015

Je t'ai tellement aimé

Les jours où je ne suis pas coupée de mes sensations, parfois ça me revient en pleine gueule, il y a des chansons comme ça qu'il vaut mieux que j'entende pas dans les lieux publics parce que ça va pas être beau à voir, parce que faut bien avouer que c'est toujours le cas, qu'un amour comme ça, ça se termine pas comme ça, ça se termine pas du tout en fait.

On vit déchiré après, c'est tout.

J'ai tout aimé chez toi. Souvent encore quand un homme me plaît, ce n'est pas qu'il te ressemble, mais je dois bien avouer que vous avez quelque chose en commun, c'est sûr.

J'ai aimé ta voix que tu n'aimes pas.

Repenser à ton sourire me bouleverse. A la façon dont tu baisses les paupières. Aux mèches lourdes de tes cheveux.

Je me suis planquée pour t'écouter jouer de la musique à l'époque où tu pensais que ce n'était pas agréable à entendre. Je t'ai accompagné prendre confiance progressivement. Et j'ai toujours tellement aimé ces moments quotidiens où tu prenais ta guitare, posé n'importe où, parfois t'accompagnant au chant. J'ai tant aimé ta musique.

Pas juste la musique que tu faisais. Ta musique personnelle, ton harmonie intérieure, ce qui fait que tu es toi.

Ton tour d'esprit, ton humour, l'étincelle dans tes yeux lorsque tu comprends un truc qui à la fois t'amuse et te plaît.

Mais ce qui est étrange, c'est que je peux pas dire qu'"on" s'est aimés. On n'a pas vécu ensemble la grande histoire d'amour qu'on aurait dû.

J'écris ça, j'ai le sentiment d'avoir été volée.

C'est une terrible chose à penser, que j'ai vécu huit ans avec l'homme que j'ai le plus aimé de ma vie, et que ça n'a rien eu d'heureux.

Tu refusais mon amour, mes marques d'affection te mettaient mal à l'aise, mon désir te faisait peur, les qualités que je voyais en toi n'étaient jamais les bonnes, les compliments tu ne les croyais pas. Je ne t'aimais jamais de la bonne façon, la manière dont je t'aimais tu la trouvais insultante, et je n'avais aucune piste pour savoir comment tu aurais voulu être aimé. Tu me tenais à distance, tu me faisais comprendre que je n'étais pas la bienvenue, au bout d'un moment je n'osais même plus aller vers toi. Les marques d'attention, les efforts que je faisais pour te rendre la vie agréable tombaient la plupart du temps comme un dû, rencontrant au mieux indifférence, au pire hostilité.

Je t'aimais et toi qui disais m'aimer, tu me traitais si mal. Et pourtant je te crois, quand tu dis que tu m'aimes. Tu as reconnu, parfois, dans des jours de lucidité, que tu ne te comportais pas comme si tu m'aimais. Que tu m'as enveloppée quotidiennement dans un manteau d'épines. Mais comme toujours, ces éclairs étaient rapidement remplacés par le retour du discours culpabilisant - j'étais horrible, je faisais quelque chose de vraiment affreux, quoi ce n'était jamais clair, mais enfin en tous cas c'était à cause de moi.

De loin en loin tu me jetais quelques miettes, juste assez pour me faire sentir ce que notre relation aurait pu être. C'était extraordinairement bon, dans le désert où je vivais. Cela me donnait des raisons de rester.

C'est comme si tu étais atteint d'une maladie de l'amour, à ne pas pouvoir le vivre autrement qu'en rejetant et agressant la personne que tu aimes. À ne pas pouvoir le vivre autrement que comme une souffrance. Pour ça, et pour ça seulement, je te plains.

Pour moi, c'était comme de devoir t'aimer à travers une vitre. En plus des agressions, une frustration constante. Sauf à de rares, si rares exceptions, je les compte sur les doigts des mains en huit ans, jamais pouvoir vivre l'amour que j'aurais voulu vivre avec toi, tout en sachant qu'il était présent entre nous.

Le supplice de Tantale.

Il en faut de la volonté à Tantale pour choisir enfin d'échapper à l'enfer en tournant le dos au festin qui s'offre à ses yeux, malgré la faim qui le tenaille, et s'enfuir en courant. Sans se retourner. En essayant, le plus possible, de ne pas y penser - parce que penser que l'on doit fuir ce que l'on aime le plus au monde, il y a de quoi devenir fou.

Et c'est horrible de rester si longtemps avec quelqu'un qui aime mal. Parce qu'à vivre ensemble aussi longtemps, on apprend vraiment à l'aimer.

jeudi 24 septembre 2015

Craving

Je ne peux pas revoir Algernon. Je ne peux pas le croiser à nouveau.

Et ce n'est même pas parce qu'il continue à me harceler à distance, à des cycles aussi réguliers que la Lune, à essayer, par mails, par lettres ouvertes postées sur son blog, de me faire croire que je suis folle, de faire vaciller ma santé mentale.

C'est parce que je ne résisterais pas deux secondes à me jeter dans ses bras en pleurant toute l'eau de mon corps et à l'embrasser comme si mon souffle en dépendait.

Parce que c'est simple, ça c'est toujours passé ainsi dans notre relation, et je le sens encore profondément dans ma tête : deux secondes de gentillesse, une parole tendre, un sourire, un seul geste de sollicitude suffisent à oblitérer entièrement à mes yeux des mois de mauvais traitement.

Il y a un an, septembre était une torture. Algernon avait fini par comprendre que je serais ferme dans ma résolution de ne plus vivre ensemble, que j'allais vraiment partir. Alors il était admirable, charmant comme jamais.

Le matin même de mon départ, il m'avait consolée alors que je paniquais, ruinée de larmes, prise dans ses bras avec douceur, trouvé les mots qui apaisent et donnent espoir.

Et ces quelques rares moments, je ne peux les empêcher de me hanter, plus peut-être que des mois et des années de maltraitance. Rien à faire, pour moi ils pèsent davantage, et si l'occasion m'en était donnée, j'ai peu de doutes que je choisirais encore de voir cet aspect-là de lui plutôt que le sombre et amer visage que j'ai connu bien davantage.

Parce que j'ai à la gentillesse le même rapport qu'à une drogue dure. Pour un sourire, pour une minute d'attention, j'ai l'impression que je serais capable d'accepter de subir n'importe quoi.

Certains jours plus que d'autres.

Aujourd'hui ensoleillé, un an après ce fatal et ensoleillé septembre où Algernon déployait toutes les ressources de sa séduction tandis que je restais ferme dans ma décision, ce septembre auquel je ne peux repenser sans que l'angoisse d'avoir été cruelle avec un homme adorable me torde le ventre, sans que cette illusion ne poigne à nouveau mon esprit, les fantômes prennent le contrôle, je sais que je suis vulnérable, je sais que je ne peux sous aucun prétexte revoir Algernon car la moindre ébauche de gentillesse de sa part me jetterait à nouveau totalement dans son emprise.