mardi 24 mars 2015

Pourquoi rester

La première réaction des personnes à qui je parle de mon expérience de la violence conjugale est en général d'incompréhension : pourquoi suis-je restée si longtemps ? Huit ans, c'est quand même... long !

Je pourrais prendre cette question comme quelque chose de très culpabilisant. Mais je choisis d'y entendre un authentique étonnement - étonnement d'autant plus grand que je ne suis pas précisément une petite chose fragile.

Ces réponses me sont personnelles, bien sûr, mais quand je me pose sincèrement la question, voilà ce que je me réponds.

(1) Parce que A. ne se réduit pas à un conjoint violent. On ne tombe pas amoureuse de quelqu'un à cause de sa violence. C'est aussi quelqu'un de magnifique et unique, que j'ai aimé et que j'aime sans doute encore. Longtemps je me suis concentrée sur les aspects positifs de notre relation - et il y en avait, bien sûr - en relativisant la violence. Ainsi je passais mon temps à oublier les violences passées, vivant en amnésique, surprise à chaque nouvelle explosion.

(2) Parce que j'ai beaucoup culpabilisé de cette violence, puisque j'étais constamment accusée d'en être la cause. Souvent c'était des accusations complètement irrationnelles, je ne les comprenais pas mais les ressentais profondément et espérais réussir, moi, à changer. Souvent aussi A. me reprochait mon manque d'engagement dans la relation, alors que j'ai tout donné pour notre couple, alors que mes rares réticences étaient liées à sa violence. Ça, je pense que c'est une des causes principales : A. passait son temps à m'embrouiller l'esprit et à me dire que c'était moi la responsable.

(3) Parce que A. a vraiment essayé de changer. Dans le cours de notre histoire, il a fait trois thérapies, dont au moins une visait directement à régler ses problèmes de violence, les deux autres à un travail psychologique plus global dont on pouvait attendre indirectement des effets positifs. Je l'ai vu constamment alterner entre des phases où il reconnaissait le problème et d'autres où il le niait complètement, ou affirmait que c'était du passé et qu'à présent c'était moi le problème (voir point 2).

(4) J'ai essayé de rompre. Beaucoup. Dès les premiers mois de notre relation. Mais chaque fois j'ai accepté de faire des compromis (voir point 1). Ces tentatives ont donné à A. des arguments constants pour me faire culpabiliser. Souvent aussi c'est lui qui prétendait rompre lors de ses grandes colères, mais c'était toujours des mots sans effet, hélas.

(5) J'ai essayé de rompre. Beaucoup. Sans jamais réussir à aller jusqu'au bout, jusqu'à cette année. Et la raison de ça, je pense que c'est très important : les violences psychologiques que je subissais m'épuisaient tellement que je n'avais pas la force de partir. Là encore, je sais que c'est difficile à croire pour celleux qui ne l'ont pas vécu, et que celleux qui l'ont vécu me comprendront immédiatement.

En partant il y a deux mois, et les semaines qui ont précédé mon départ, j'ai dû mobiliser une quantité d'énergie colossale, une quantité d'énergie dont je ne disposais absolument pas. Je n'aurais jamais réussi si je n'avais pas parlé à quelques personnes, si je n'avais pas reçu de l'aide ou au moins du soutien. J'ai creusé mon découvert d'énergie vitale. J'ai fait des dettes d'énergie si abyssales que j'espère que je n'en suis pas à tout jamais séchée, que ce ne sera pas l'unique œuvre que j'aurai réussi à accomplir de ma vie - quitter A.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire